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Forum consacré à la géographie
 
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 l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes

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florian_ags
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florian_ags




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MessageSujet: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyMar 19 Juil à 22:58

un petit coup de gueule : pourquoi en France, l'enseignement de la Géographie dans le secondaire est-il indissociable de celui de l'Histoire, alors que dans la majorité des autres pays ce n'est pas le cas? Pourquoi lier ces 2 disciplines fondamentalement différentes, alors que la géo est aussi proche de la socio, de l'économie, de l'anthropologie, de la géologie que l'histoire? Le résultat est que la plupart du temps, on a dans le secondaire des profs d'histoire-géo qui sont avant tout des historiens et qui enseignent la géo un peu comme ils peuvent, sans vraiment connaitre, ni forcément aimer cette discipline. Et quand on n'aime pas la discipline qu'on enseigne, comment la faire aimer à ses élèves? Mad
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Sisyphe
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MessageSujet: Re: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyMer 20 Juil à 0:54

Very Happy Vous m'avez doublé, je voulais justement ouvrir ce débat-là ! Sauf que dans mon cas, ça n'aurait pas été un coup de gueule, seulement un constat.

bounce D'abord : ne dites pas de mal des profs ! D'abord j'espère en être un bientôt, et puis surtout : je fais tout ce que je peux pour les attirer sur ce forum, alors ne me les faites pas fuir ! Laughing .

En fait, il y a deux questions :

1. Pourquoi l'histoire et la géo sont-ils mêlés ? D'abord parce qu'il a bien fallu que la géo naisse de quelque chose. Son statut de science est très récent, il date du 20e siècle.

Le fait est ensuite que la géo est née dans certaines circonstances historiques : le dix-neuvième siècle et la construction de l'idée française de la nation (Michelet, Taine, etc.), et l'après guerre de 70 et la nécessité de "justifier" le rapport entre terre et peuple ; le "terroir" de la géographie vidalienne. Mais je pense que Miguel en parlera mieux que moi.

2. Est-ce que c'est une bonne chose ? Je ne sais pas. Dans les pays étrangers (et encore à la fac de Strasbourg, tradition germanique) la géo est placée du côté des sciences. Elle est née de la géologie et de la géographie physique. N'est-ce pas précisément une vision trop dangereusement étroite de la géo, qui passe à côté de toute la richesse du fait humain, que de n'y voir qu'une extension des sciences dures ?

Quant à dire que les profs du secondaires, qui incontestablement sont pour 75 % des historiens de formation, n'aiment pas la géo et l'enseignent mal, je serais moins catégorique :

1. Plus d'un prof d'histoire de ma connaissance préfère finalement enseigner la géo, se sentant notamment "plus utile" dans cette matière, plus immédiatement rattachable au monde actuel et à l'actualité ( Crying or Very sad c'est un peu "l'acédie", la perte de courage, du prof que de se sentir à un moment "inutile". Combien de mes amis déjà profs de lettres me font part de leurs doutes quand ils parlent de littérature à des ados qui n'en ont cure...).

2. Vous êtes à présent immergé dans le monde universitaire. Peut-être avez-vous oublié les exigences du secondaire (dans les deux sens : ce que les profs exigeaient de vous, et ce que vous exigiez des profs). Ce sont presque deux mondes. Bien sûr il est important qu'un prof d'HG en sache le plus possible en géo, comme il est important que je sache parfaitement traduire un texte latin sans dictionnaire. Mais ce que j'enseignerai si j'ai la chance d'enseigner un jour latin sera à cent lieux de cette maîtrise-là.

Donc, qu'ils ne maîtrisent pas, ou plus exactement qu'ils ne maîtrisent plus "votre" géo de 3e année d'enseignement supérieur, sans doute. Mais sont-ils pour autant incapables de vous donner les fondamentaux de cette matière ?

Un des problèmes est que la géo est une science qui dépend beaucoup des propres concepts qu'elle se donne. Au fond, mêmes les géographes ne savent pas très bien ce qu'est la géo, même si c'est passionnant. (admirable citation de Miguel récemment dans un autre post !) ; or les concepts se modifient plus vite que les dates ou les langues. Il est incontestable que les concepts de géo que les profs du secondaire sont censés mettre à l'oeuvre aujourd'hui sont parfois bien loin de ce qu'ils ont eux-mêmes appris durant leur fac, même quand ils étaient géographes ! Les axes et les flux, véritable obsession des manuels il y a 10 ans (ça passe...), ou les technopoles et -pôles, furent autant d'angoisses dans les salles des profs ou à la maison...

Toutes les sciences sont connexes, mais ce n'est qu'une question de centrage : vous pourriez aussi bien dire que l'histoire fait appel aux maths quand elle dresse des tableaux de mortalité au 12e siècle - d'ailleurs les khâgneux B/L ont des maths dans leur cursus (ce qui en fait aux yeux des "A/L" des "dégénérés"). Le latin mène à la linguistique historique, la linguistique historique à la linguistique générale et la linguistique générale aux maths les plus purs. Je me suis moi-même fait traité de "traître mathématicien" lorsque j'ai montré certains manuels où il est question de logique formelle.

Mais le lien histoire-géo me paraît quand même sensiblement plus évident : j'ai ouvert divers posts sur la Baltique et son espace identitaire. Or "l'identité" en question ne peut se comprendre sans l'histoire. Elle n'a rien à voir avec le concept "l'identité" en sociologie. Ni la situation démographique, ni le développement, ni l'organisation et la répartition des villes dans un pays ne peut se faire sans l'apport de l'Histoire. La socio ou l'anthropologie sont des outils de la géo, alors que l'Histoire en est une dimension. Elle partage peut-être ce titre avec la géologie et la géomorphologie en générale, mais dans les mêmes proportions. Ne répète-t-on pas sans cesse aux étudiants de géo qu'il faut se garder des déterminismes physique, et toujours penser au fait humain ?

Non, l'Histoire-Géo ne me paraît pas plus absurde que le Français-Latin-Grec des étudiants et profs de lettres classiques. Et même beaucoup moins. La littérature française peut se comprendre sans la langue latine (mais non sans sa culture). La géo ne peut jamais faire abstraction de l'Histoire.

Mon cas est le même que le vôtre : je dis souvent que j'ai divorcé d'avec l'étude des lettres. J'aime la littérature, mais je n'ai plus aucun plaisir à lire des critiques littéraires, et je ne disserte que pas nécessité universitaire.

Pour autant, je ne me sens pas illégitime pour enseigner la littérature dans le secondaire, car je devrai apporter des bases, une culture générale, bref un savoir constitué (ce qui ne veut pas dire mort) : je dois transmettre un héritage. Mais je ne le créerai pas, et je n'ai pas la capacité de faire naître une réflexion sur la littérature, ce qui me rend illégitime dans l'enseignement supérieur dans ce domaine, alors que je suis à même de le faire s'agissant de la langue latine.

I don't want that La suite demain...
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Miguel
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MessageSujet: Re: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyMer 20 Juil à 23:07

La géographie et ses rapports avec l'histoire et les autres disciplines. Vaste débat. Il me faudrait 3 jours et 20 pages pour écrire quelque chose d'à peu près correct, mais je ne dispose pas de tout cela, je vais donc aller droit au but.

J'imagine que tu sais comme moi, Florian, que la géographie est liée, en France, à l'histoire, dans le contexte sociétal et intellectuel de l'après guerre 1870-1871. Une Histoire et une Géographie qui se rejoignent pour participer à l'élan patriotique français. Mais le maintien de cette relation intime dans l'enseignement me semble presque étrange. Quelqu'un de plus formé que moi à l'histoire de ces deux domaines pourrait me contredire, mais il me semble que la géographie a eu plusieurs fois la possibilité de s'éloigner de l'Histoire, et qu'elle ne l'a pas fait, non pas à cause d'elle-même, je pense, mais à cause de choix externes.

Je vais donner deux éléments qui complètent et éclaircissent mes dires :

- la géographie française du tournant XIX-XXème siècle s'inspire largement de ce qui se fait en Allemagne : Ritter, Humboldt. Elle est très influencée par l'évolutionnisme de Darwin, qui lui permet de s'interroger sur les rapports homme/environnement (dans d'autres termes que ceux-ci : on parle alors seulement de milieu). Elle s'éloigne quelque peu de l'évolutionnisme et d'un certain déterminisme géographique, par une affirmation à peu près semblable à celle-ci : "l'évolution n'est pas dictée par la sélection naturelle, mais par l'inégale aptitude des êtres vivants à tirer parti des environnements dans lesquels ils sont plongés" : la géographie se fait humaine. Un ouvrage allemand, écrit par Ratzel, intitulé "Anthropogeographie", est édité en France sous le titre "Géographie Humaine".

- la géographie physique se démarque très tôt (fin XIXème siècle) et est dominée par les ingénieurs et les topographes. Elle délaisse l'écologie, n'étant pas le fait des naturalistes.

Ces deux éléments montrent (ou participent à) une forte dispersion de la géographie au début du XXème siècle. Les chemins auraient pu être bien différents.

**

J'ai tendance à accompagner Florian lorsqu'il dit : "on a dans le secondaire des profs d'histoire-géo qui sont avant tout des historiens et qui enseignent la géo un peu comme ils peuvent, sans vraiment connaitre, ni forcément aimer cette discipline". Je peux comprendre que tu trouves cela exagéré, Sisyphe, mais les cursus d'histoire-géo pour l'enseignement font la part belle à l'histoire. Et la géographie que ces profs ne maîtrisent pas (je ne parle pas de tous les profs, j'en ai connu des passionnés aussi, dont un en terminale, qui m'a confirmé dans ma vocation de géographe) n'est pas seulement celle du deuxième ou troisième cycle. Cela est peut-être dû tout simplement aux programmes eux-mêmes : je ne peux guère parler sur ce sujet car je les connais très mal.

Je me souviens - c'est anecdotique - de mon tout tout premier cours de deug de géographie. Le professeur, que je ne nommerai pas mais qui est l'une des grandes pointures de la géomorphologie française et qui enseigne aujourd'hui à Paris-1 (un grand homme et un grand pédagogue), s'adresse à nous et demande : "que savez-vous en géographie ? le PIB du Brésil ? la population de Melbourne ? les cours du pétrole de 1990 à 1998 ? je vais vous dire une chose : on s'en fout de tout ça : ce n'est pas ça la géographie. Oubliez tout ce qu'on vous a appris au lycée. Sauf vos cours de seconde."

**

Je ne suis pas d'accord avec toi sur un point, Sisyphe, et je vais en nuancer un autre.

Commençons par la nuance.

Sisyphe a écrit:
Au fond, mêmes les géographes ne savent pas très bien ce qu'est la géo, même si c'est passionnant.
Ne prenons pas la boutade d'Orlando Ribeiro à la lettre. D'abord, c'est un géographe d'une période révolue au cours de laquelle l'épistémologie géographique était très faible, voire inexistante. Ensuite parce que, soyons réalistes, la géographie sait ce qu'elle est. Elle souffre, certes, et même beaucoup, de n'être qu'une discipline constamment provoquée par les autres (la géologie, les autres sciences sociales, se spatialisent de plus en plus : le géographe est dépressif) ; elle souffre également de son statut de non-productrice de concepts propres - statut qu'elle est pratiquement la seule, parmi les sciences humaines, à supporter, puisque les concepts de la géographie, moderne ou non, sont tous empruntés à d'autres sciences ; statut, enfin, de science dominée.

Poursuivons et tentons de contredire Sisyphe :
Sisyphe a écrit:
La socio ou l'anthropologie sont des outils de la géo, alors que l'Histoire en est une dimension.
Je ne suis pas d'accord. Les deux disciplines se sont longtemps affrontées (Vidal vs Durckheim ; celui-ci reprochant à celui-là d'être par trop déterministe : la sociologie, pendant longtemps, est restée a-spatiale ; la géographie, a-sociale). Mais depuis le début des années 1970 (et le tournant de mai 68), la géographie a abandonné ses anciens paradigmes : elle étudie clairement les sociétés humaines dans leur rapport à l'espace, et aussi les sociétés humaines pour elles-mêmes, dans une perspective spatialisée - ce qui n'est pas la même chose). L'Histoire serait certes une dimension de la géographie, mais la sociologie et les sciences politiques le sont tout autant : la compréhension du paysage urbain de la Plaine-Saint-Denis ou des marais maritimes de la Ria Formosa passe, entre autres, par le prisme de l'Histoire mais aussi par l'analyse des acteurs impliqués. En ce sens, la sociologie, les sciences politiques, sont autre chose que de simples outils de la géographie. Pour l'anthropologie, je suis plus prudent, je la trouve beaucoup plus éloignée de la géographie.

C'est tout pour l'instant, j'espère ne pas avoir été trop confus dans mes explications.
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Sisyphe
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MessageSujet: Re: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyDim 31 Juil à 2:41

Citation :
C'est tout pour l'instant, j'espère ne pas avoir été trop confus dans mes explications.

Smile Non. J'ai dû l'être pas mal moi-même dans ma première réaction, mais comme tu le dis, c'est un sujet vaste.

D'ailleurs ça fait une heure que j'essaie de remettre en ordre mes arguments . On va y aller question par question.

Est-il légitime épistologiquement parlant de lier histoire et géographie ?

Sad Je suis évidemment mal placé pour en discuter à fond, n'étant pas géographe.

En fait ce que dit Miguel me fait penser à la querelle des diachronistes et des synchronistes en linguistique.

Mais je préfère fermer ma silent pour l'instant, je tâcherai de mieux répondre plus tard.

Force est en tout cas de constater que cette perspective "liante" a encore cours dans l'esprit des programmes du secondaire. Je vous renvoie aux programmes des troisièmes.

L'histoire "mange-t-elle ?" la place de la géo ?

Surprised Sur ce point je serais plus nuancé que vous, peut-être parce que je le vois de l'extérieur. J'ai tendance pour ma part à trouver la répartition plutôt équilibrée :

- Autant que je me souvienne, 40 % du temps d'étude des mes camarades historiens dans les années DEUG/Licence d'histoire. heures qui leur semblaient plus lourdes que celles d'histoire ; mais là c'est du domaine de la perception !. La proportion inverse pour les géo-enseignements.
- Même temps de préparation pour les deux matières dans les khâgnes (là où il y a géo, c'est à dire dans deux préparation sur trois, contre trois sur trois pour l'histoire, c'est vrai). Importance égale lors des épreuves d'ENS pour les non-optants, presque égale pour les optants (l'épreuve de géo est un tout petit peu plus brève, mais de même coeff).
- Presque 50 / 50 aux épreuves du capes
- 70 / 30 à l'agrégation d'histoire, mais une agreg à part.


Crying or Very sad Ce qui est sans doute exact, en revanche, c'est la moindre "valeur sociale" de la géo dans le supérieur. Le géographe est un "faux littéraire" ou un "scientifique raté.
Je peux en témoigner personnellement : j'ai fait une khâgne moderne, donc à géo obligatoire, et quand un khâgneux "Ulm" veut se moquer ou dévaloriser un khâgneux "Fontenay", le premier argument, c'est toujours : "ouais mais vous vous faites de la géo" (sous entendu : vous n'êtes pas des vrais littéraires). A Normale Sup', l'agreg de géo passe toujours pour une agreg "non noble", à côté de l'indétrônable triade histoire-lettres-philo. D'ailleurs je constate que le seul site de référence normalien (géoconconfluence) est hébergé par l'ENS de Lyon (l'éternelle "petite soeur" d'Ulm) et non par Ulm.

Dans les programmes du secondaires, en revanche, je vous renvoie aux topiques consacrés : la part est égale, et de même aux examens.

bounce Cependant, il y a une chose qu'il ne faut pas perdre de vue : si elle n'avait pas été couplée à l'histoire pour des raisons... historiques, la géo n'aurait jamais été enseignée dans le secondaire. Comme c'est d'ailleurs le cas dans la presque totalité des pays étrangers.

Evil or Very Mad Ce qui menace d'ailleurs le plus la géo dans le secondaire (comme le latin du reste), ce n'est pas tant la qualité des profs, que la diminution du nombre d'heures allouées : depuis le temps où vous étiez (et moi-même) au collège, l'HG a perdu une demie-heure à une heure au collège. Dans la classe de troisième "à option technologique" qui va se mettre en place à la rentrée, le programme d'HG et notamment de géo est allégé par rapports aux "troisièmes LV2").

Je pense que si elle n'avait pas été couplée et "indissoluble" (même créneau, même prof), la géo aurait disparu, ne serait resté que l'histoire. Comme cela s'est passé pour le latin-grec : le latin a survécu, mais le grec a quasi disparu.

Pourquoi ce lien historique a-t-il perduré ?

Le facteur "externe", comme dit Miguel, que j'appelerais platement les raisons matérielles, oui, explique à mon avis l'essentiel : un prof bivalent est plus "pratique" qu'un prof monovalent. On a souvent voulu créer des profs bivalents, notamment depuis la "massification" de l'enseignement : PEGC, AE, CAPLP, etc. ; et on en reparle beaucoup en ce moment (un rapport de la cours des comptes allait en ce sens) ; mais on n'a jamais vraiment réussi à en faire, du moins du point de vue institutionnel (car en réalité les PEGC ont parfois été authentiquement bivalents, et les meilleurs professeurs des collèges, j'en témoigne Very Happy ; mais pour l'administration ils sont restés des exceptions, moindrement considérés et payés).

Sauf précisément dans les ensembles disciplinaires hérités de l'histoire : histoire-géo, français-langues mortes, physique-chimie.

Parce que pour faire des profs ils faut des facs : or les profs sont les produits des cursus universitaires, et les cursus sont modelés en fonction des attentes des étudiants, qui veulent être profs. Pour faire des profs bivalents, il faudrait des cursus bivalenst, ce qui en soi n'est pas inimaginable, mais reste complexe. Mais il faudrait aussi proposer au bout des concours bivalents, etc. On se mord la queue. Neutral

Faire des cursus à deux ou trois matières est d'ailleurs aussi une vieille obsession : propédeutique en 1946 (une année de deux matières), puis le DUEL et le DUES (Diplôme Universitaire d'Enseignement Littéraire / Scientifique) en 70, remplacés par le DEUG quelques années plus tard, qui n'a jamais eu de "général" que le nom Confused . Les "décloisonneurs" à tout va de nos nouveaux cursus ne sont pas aussi modernes qu'ils le pensent. On bute toujours sur la question des cursus, pour des raisons qui sont à mon avis beaucoup plus complexes et profondes qu'on ne le croit.

Mais justement : pourquoi la scission histoire / géo a-t-elle été si imparfaite, alors que la scission lettres / langues-mortes a beaucoup mieux pris, au point que les lettres modernes ont pris le pas sur les classiques ?

Paradoxalement, je pense que c'est la vivacité des sciences géographiques qui en est la cause : elle a toujours eu une prétention scientifique, elle n'a cessé d'évoluer, de devenir plus scientifique, plus complexe, etc. De ce fait, elle est apparu comme aussi "moderne" que l'histoire ; elle a justifié son existence. Malgré le légère opprobre social qu'elle subit, personne ne conteste la valeur scientifique de la géo. Elle a même le privilège d'expliquer l'actualité : n'invite-t-on pas sans cesse des "géographes" sur les plateaux de télé ? Wink

Quand littérature française et latin-grec se sont séparés, la même chose s'est produite. Jusque dans les années 30, il n'y a tout simplement pas de pensée sur la littérature : les professeurs de littérature de l'Université ne sont que des conservateurs de musée, au mieux ils exhument des textes oubliés ou mal édités. Mais il n'existe presque aucun discours sur la littérature même. A quelques exceptions près, qui restent encore plongées dans une vision strictement historique : Sainte-Beuve, Lanson, Paul Valéry, etc. A cette époque, la légitimité du prof de lettres, c'est le latin-grec.

La littérature a donc dû triompher sur les langues mortes - au besoin en les méprisant un peu. Agrégation de lettres modernes en 1950, la triade marxisme-structuralisme-psychanalyse (Lukacz / Barthes / Marthe Robert) des années 60, mai 68 blackeye , etc.

La différence, c'est que l'histoire avait continué d'évoluer et de se présenter aussi comme une science (école des annales, etc.). Alors que le latin-grec, lui, ne l'est clairement pas, et ne pouvait pas le prétendre (et qu'en plus il s'est un peu arc-bouté sur sa "légimité" millénaire). Sa valeur sociale, matérielle, pratique, intellectuelle n'a cessé de se déteriorer. On n'a plus vraiment besoin de profs de latin au collège, pour dire les choses crûment.

Bref, je résumerais la chose ainsi :

1. La géo est devenue légitime sans que l'histoire cesse de l'être. Donc il fallait continuer d'enseigner la géo ET l'histoire.
2. Il est plus pratique est moins coûteux d'avoir un prof bivalent. Donc on a continué à fabriquer des profs d'histoire-géo.
3. Comme l'enseignement constitue le but de 80% des étudiants des facultés. On a continué de modeler l'enseignement supérieur sur les exigences des concours. Donc on a fait des cursus d'histoire-géo.

Les profs d'histoire-géo sont-ils moins passionnés et moins compétents en géo ?

Sur cette question, je reconnais que je suis chatouilleux Wink. Je reconnais aussi que j'en suis réduit à la généralisation, ne pouvant interroger tous les profs d'HG. A tout hasard, j'ouvre deux sondages :

Pour les profs : https://geographie.forumactif.com/viewtopic.forum?t=70
Pour les élèves : https://geographie.forumactif.com/viewtopic.forum?t=71

Je me suis déjà exprimé sur le fait que l'origine "historienne" des profs n'est pas forcément la cause ni de leur intérêt ou désintérêt ni de leurs compétences. Je tiens d'ailleurs à revenir sur deux propos de Miguel :

Citation :
Je me souviens - c'est anecdotique - de mon tout tout premier cours de deug de géographie. Le professeur, que je ne nommerai pas mais qui est l'une des grandes pointures de la géomorphologie française et qui enseigne aujourd'hui à Paris-1 (un grand homme et un grand pédagogue), s'adresse à nous et demande : "que savez-vous en géographie ? le PIB du Brésil ? la population de Melbourne ? les cours du pétrole de 1990 à 1998 ? je vais vous dire une chose : on s'en fout de tout ça : ce n'est pas ça la géographie. Oubliez tout ce qu'on vous a appris au lycée. Sauf vos cours de seconde."

Cool Un peu excessif peut-être ? J'en pourrais dire autant de la littérature (contre-anecdote : début de l'année, premier cours sur Beaumarchais "je vais vous faire la liste de tous les clichés sur Beaumarchais qu'il vous faudra éviter dans vos copies, et qui remplissent les livres du secondaire : Beaumarchais est révolutionnaire. Figaro annonce la révolution. Les pièces de Beaumarchais sont construites comme des mécanismes de montre. Figaro, c'est Beaumarchais, etc.").

Il y a un saut qualitatif dans toutes les matières entre secondaire et supérieur : c'est la différence entre le savoir et la science.

Le savoir transmis dans le secondaire est une finalité en lui-même : il s'agit d'instruire - et ce n'est pas une mauvaise chose. Lequel se veut applicable : il s'agit de donner des outils maniables pour comprendre le monde et donc être un peu plus libre . J'insiste sur "maniable". Au bachelier qui ne sera pas géographe, il restera l'idée que le Brésil est un pays mélangeant pauvreté et richesse, et néanmoins puissant, et que le prix du pétrole a une influence économique et stratégique forte, et peut-être excessive.

La science, dont l'Université est le lieu, ne se transmet pas mais se crée (sauf qu'il faut quand même en transmettre les éléments. OK le PIB du Brésil ne signifie pas grand-chose, et un chiffre ne vaut que par l'usage qu'on en fait, mais pour pouvoir en user, il faut d'abord le connaître) ; elle n'a pas de finalité, sinon d'amener un peu plus haut sa propre humanité.

C'est un peu la différence entre la grammaire et la linguistique.

Citation :
Et la géographie que ces profs ne maîtrisent pas (je ne parle pas de tous les profs, j'en ai connu des passionnés aussi, dont un en terminale, qui m'a confirmé dans ma vocation de géographe) n'est pas seulement celle du deuxième ou troisième cycle. Cela est peut-être dû tout simplement aux programmes eux-mêmes : je ne peux guère parler sur ce sujet car je les connais très mal.

Smile Eh bien je te renvoie aux quatre post-it à ce sujet.

J'ai déjà abordé ce point donc je ne vais pas y revenir : la géo ne cesse de produire de nouvelles idées, de nouvelles vues, de nouveaux concepts, et les "prescripteurs culturels" de la géo (techniquement, les membres universitaires de la Commission des programmes, mais d'une certaine manière toute l'Université) n'a de cesse de vouloir les transmettre le plus tôt possible. Et qui déroutent élèves... et profs trop anciennement formés.

Il y a à mon sens un décalage entre la production conceptuelle de la géographie et le véritable niveau exigible des élèves si l'on veut rester cohérent. Décalage qui ne tient pas aux concepts eux-mêmes : ils sont sans doute légitimes, et toute science humaine produit ses propres cadres de pensée. Mais plutôt à la jeunesse de cette matière, et à sa "liberté" récente (tu parlais de mai 68 !).

Pour passionnante qu'elle soit, on ne tente pas de faire de la "nouvelle histoire" à des lycéens : il est à peu près entendu qu'on leur demande de savoir des dates et des évènements, de mettre en rapport des documents avec ces évènements (ce qui est déjà un pas vers l'histoire façon Marc Ferro, mais un pas mesuré) et de rendre compte d'une logique, de causes et de conséquences immédiates (mais pas de chercher des permanences, ou de rendre compte du débat entre soviétologues "totalitaristes" et "révisionnistes" (au sens noble Shocked ! H. Arendt vs M. Ferro, pour faire très simple).

Je constate d'ailleurs, en recopiant les programmes des BO, que par rapport à ce que j'ai connu moi-même (car c'est vrai, moi aussi j'ai un souvenir moyen de la géo dans le secondaire Confused ), les choses se sont calmées : plus de technopoles et -pôles, d'axes et de flux, et de... Comment ça s'appelle déjà, l'art de remplir une carte de petits symboles et de flèches ? Ca se termie en -tique, j'ai oublié Cool ...
... Mais la fixette actuelle semble être "les régions". Et pas plus que de mon temps, un élève de collège n'aura eu le loisir de faire, tout bêtement, une carte de la France entière avant de découvrir la beauté et le miracle des "régions".

Il y eut les "maths modernes" dans les années 80 (les ensembles en classe de sixième !). Chaque génération a eu ses excès.


affraid STOOOP ! J'arrête là.
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homogeographicus

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MessageSujet: Re: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyDim 11 Sep à 9:02

Bonjour,

Après la lecture du topic, je poserai seulement deux questions :
1) la géographie est-elle réellement une science?
2) Si tel le cas, quel est le rapport avec l'histoire
Qu'est ce qu'une science?
a) les outils
b) les concepts
c) les méthodes
d) la démarche
En fait, c'est les quatre à la fois. Il faut également un noyau "dur" : un objet d'étude spécifique au risque de perdre toute identité et de se noyer dans l'illusion de la transdisciplinarité totale ce qui aboutit inéluctablement à un éclatement de la discipline et à sa destruction. Attention, ce n'est pas pour cela que la géographie doit rester fermée, bien au contraire, elle doit rester ouverte et s'ouvrir de plus en plus mais en conservant ou en construisant un coeur propre. Les mathématiques ont leurs objets abstraits, la physique à ses objets terrestres ou non (les corps). L'histoire devrait avoir son objet propre le temps, elle le refuse! La sociologie prend appui sur l'homme, le psychologie sur le mental de l'homme. Comment classer la géographie? Faire le même raisonnement que l'Economie, à savoir tout à un coût donc tout est économique.
On peut faire le même raisonnement : la géographie c'est l'espace : tout est spatialisable donc tout est géographique. Le raisonnement est bien simpliste Pourquoi : la géographie c'est plus que cela : c'est l'homme et l'espace (JJBavoux). On pourrait y ajouter le temps et les représentation de l'espace et du temps par l'homme. Cela existe et a été défini en 2001 comme étant la métagéographie (Peguy).
Le noyau on l'a donc (travaux de Pumain, Saint Julien, Frankhauser j'ajouterais aussi Bailly et Fremont)

Deuxièmement les outils, nous les avons sans aucun doute : SIG, SMA, Automate cellulaire, Statistique (régressions multiples, linéaires, non-linéaires), systémique, logiciels diverses et variés...
Les concepts, pas de Pb, ils existent et ils sont bien fixés
Plus délicat est la méthode, la démarche :
Qu'est ce qu'une démarche scientifique?
J'avoue avoir bc de mal à : A mon avis, il existe 4 niveaux de "scientificité". Une chose est toutefois sûre, la démarche doit être déductive. Essayons de comprendre. Quel est le but d'une science : dégager des théories sinon des régularités.
Raisonnons à partir de ce que l'on nomme le relativisme (1950 hypothèse de Whorf) : le point de départ est le suivant :
le subjectivisme de la perception humaine...En pousuivant deux hommes sont donc forcément différents, des tribus le sont également, que dire de deux villes, deux régions, deux Etats, deux continents, le monde dans lequel nous vivons est donc particulier et il est impossible de comparer quoique ce soit. Comment peut on alors dégager des régularités ou pire encore construire des théories sur cette hypothèse. Le relativisme pierre angulaire du post modernisme est la négation même de la science.
Je vous conseille vivement d'aller lire l'article post modernisme de HYPERGEO très instructif : je donne quelques passages : "l'hégémonie de l'historicisme dans la conscience théorique des sciences sociales a occulté des notions aussi essentielles que le temps et l'espace" Autre phrase importante "le relativisme a pour objet principal de remettre en cause le projet scientifique issu de la philosophie des lumières", celle ci de Feyerabend (autre auteur) : "le relativisme ou l'objectivisme sont non seulement intenables en tant que philosophie mais ce sont aussi et surtout des freins importants pour une collaboration culturelle féconde". Entendons par là qu'il est illusoire de croire que tout est particulier comme croire que tout est général. Toutefois construire une science suppose des théories donc ce ne sont pas les écarts aux modèles qui doivent l'emporter mais les modèles eux mêmes, l'un n'empèche toutefois pas l'autre.
Sous entendu l'étude de cas c'est important mais ça ne doit pas occuper toute la discipline ou alors on nit la science).
4 niveaux de "théorisation"
1) l'approche déductive littéraire classique
2) l'approche littéraire deductive sous tendue par des techniques
3) l'approche littéraire déductive sous tendue par des modèles mathématiques
4) Retournement des raisonnements et démonstration de lois (de vraies lois et elles existent depuis un moment quoiqu'en disent certains Pumain, Frankhauser...). La démonstration est portée par les équations = "science dure"

Quant au reste, je le formulerai sous forme de question :
Une matière scientifique est elle en accord avec une matière litteraire?
La géographie est assurément une science, l'histoire est par nature relativiste : le détail est ce qui importe. Conformément à ce qui été dit, cette hypothèse conduit à une matière qui n'est pas une science. Il me semble qu'il s'agit d'Humanité ou ce que l'on pourrait qualifier de Lettres Humaines (n'y voyez pas du mépris).
Par conséquent le lien entre histoire et géographie me parait de plus en plus illusoire ne trouvant sa légitimité que dans des concours que l' histoire domine. Se fondant sur du quantitatif, la matière appui son autorité et en déduit une légimité. Cette dernière se fonde également sur une paternité historique. La géographie (attention française!) est issue de Vidal de la Blache (historien). Cependant n'oublions pas que la discipline n'existe réellement que depuis Elisée Reclus. C'est sans doute le vrai fondateur de la géographie française. Ce dernier propose des raisonnements qui seront dès le départ théoriques : reflexion peu accepté à l'époque car allant à contrario des idées de Vidal. Il est heureux que Elisée Reclus soit aujourd'hui redécouvert et que l'on vante ses mérites. Roger Brunet en est le très très très très digne héritier.
La réduction de l'origine de la géographie à Vidal a entrainé au fil des années un maintien du raisonnement relativiste dans l'inconscient du géographe (se traduisant par les monographies régionales). Aussi, l'arrivée des thèses plus thématiques après 1967) marque une véritable transition disciplinaire. La géographie a pris conscience qu'elle était une science.
Quant à savoir si l'histoire doit conserver son lien avec la géo, c'est un autre pb : on peut simplement se poser la question suivante :
85% de prof d'histoire dans le secondaire pourquoi? Regarder vos prog de CAPES et d'Agreg.
Ensuite autre chose existe-t-il encore un lien entre la géographie très littéraire orientée histoire du secondaire et la géographie du supérieur orientées techniques (ou éventuellement modélisation en tout cas dans certaines universités)...Le creuset devient un gouffre...
Mad
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MessageSujet: scotché je suis   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyDim 11 Sep à 23:38

votre débat donne envie de vous laisser causer et de vous lire sans rien dire tellement il est documenté et riche.
Juste un mot tout de même pour vous dire la façon dont je vois les choses.
Je dis souvent à mes étudiants que l'histoire et la géographie sont deux regards sur le monde, l'un entre par le temps, l'autre par l'espace. Deux regards différents qui se complètent et ont largement à voir l'un avec l'autre.
En revanche l'histoire de nos disciplines implique de rompre avec l'image d'une géographie décor de la grande histoire. Il faut considérer la géographie comme une discipline, et même une science je n'ai pas peur du mot, autonome, dont les concepts sont forgés en son sein même si leur origine est parfois extérieure. Parce qu'un concept il ne suffit pas de le dire, il faut le construire. Qu'on l'invente ou qu'on le tire d'ailleurs on ne peut pas faire l'économie de le construire.
Enfin, n'ayons pas peur du flou et du doute qui entoure les sciences sociales. Il vaut toujours mieux douter qu'être sûr. Celui qui est sûr à déjà quitté la science.
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Miguel
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MessageSujet: Re: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyMar 13 Sep à 19:40

"Celui qui est sûr a déjà quitté la science." J'aime cette phrase. Elle rejoint une autre phrase qu'un membre a écrite il y a quelques jours, il disait que le géographe remettait en cause, se remettait en cause, était remis en cause.

Tu apportes un autre élément à la discussion, c'est celui du concept, de son invention et de sa construction. J'avais vaguement approché la question plus haut en parlant de "sciences dominées" (entre autres, non créatrice de concepts), sans aller plus loin. Je n'avais jamais réfléchi à distinguer "invention" et "construction" d'un concept, peut-être devrions-nous parler de "déconstruction-reconstruction" (en somme, de "transfert" ou "adaptation" ou "importation", malgré leur tendance "péjorative" ou "voleuse"). C'est une distinction intéressante qui suggèrerait une autre vision des sciences (moi non plus je n'ai pas peur du mot), plus systémique (je serais curieux de lire un ouvrage étudiant les sciences comme des éléments d'un système ouvert).

ps : comme quoi, je suis heureux que tu aies préféré ne pas nous laisser causer sans rien dire ... chacun a sa pierre à apporter à l'édifice. Mr. Green
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MessageSujet: merci Miguel   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyMar 13 Sep à 20:40

Je suis constructiviste, c'est clair. Tout est construit, rien n'est donné. Je ne pense pas que les sciences dites dures soient beaucoup plus sûres de ce qu'elles avancent que la géographie. J'ai des collègues en mathématique qui me parlent des mêmes doutes. Il sont sans cesse en train de remettre en cause des vérités pourtant largement diffusées et qui ne sont que des constructions supplémentaires qui perdent leur sens dès lors qu'on les décontextualise. La physique et les autres sciences sont dans le même doute.
La différence réside peut-être dans trois dimensions distinctes. La première concerne l'enseignement (primaire et secondaire) qui ne remet pas en cause les principes de ces sciences.
La seconde provient, selon moi, de l'acceptation qui est faite de l'inconnu et donc la plus grande capacité qu'a la société à accepter l'invention conceptuelle dans les sciences dures. Alors qu'en géographie, nos concepts sont largement issus ou repris du langage courant.
La troisième concerne l'objet même des sciences. Les sciences de la société travaillent un objet en mouvement permanent et les chercheurs sont eux mêmes inclus dans l'objet qu'ils étudient. Faut-il pour autant arrêter de chercher?
Pour revenir aux concepts et à leur construction. On peut inventer des mots nouveaux, pourquoi pas, mais pourquoi ne pas utiliser ceux qui existent en leur attribuant des dimensions supplémentaires, en travaillant les caractéristiques dans la nuance. Si j'ai bien compris, vous êtes plutôt littéraires, allez jeter un œil dans un article de Bernard Debarbieux dans un numéro de l'Espace géographique de 1995 (ou 1996). Il reprend les concepts de synecdoque et de métonymie pour les utiliser à propos de la construction des territoires. La construction est toujours riche, ce n'est jamais du vol, c'est simplement essayer de trouver, parmi les mots qui existent déjà, ceux qui pourraient s'adapter à la situation qu'on veut comprendre, dont on veut rendre compte. Il n'existe pas de concept fini, ils sont tous à reconstruire.
Sur le doute enfin, ma signature rappelle en permanence son importance. Quand je rencontre un doctorant, la question que j'ai envie de lui pposer à chaque fois c'est où et avec qui as-tu appris à douter ? Sur ce point j'ai une autre citation du plus grand philosophe français après Deleuze : Pierre Desproges qui dit : Que la vie serait belle si tout le monde doutait de tout, si personne n’était sûr de rien. On pourrait supprimer du dictionnaire les trois quarts des mots en « iste », fasciste et communiste, monarchiste et gauchiste, khomeyniste et papiste."
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MessageSujet: Re: merci Miguel   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyMar 13 Sep à 21:13

XXX a écrit:

La troisième concerne l'objet même des sciences. Les sciences de la société travaillent un objet en mouvement permanent et les chercheurs sont eux mêmes inclus dans l'objet qu'ils étudient. Faut-il pour autant arrêter de chercher?

D'ailleurs si on prend l'exemple de l'anthropologie, c'est assez flagrant.
Au départ, l'anthropologie était la science des sociétés "racines" ou "premières" (je ne sais pas trop quelle est le terme le meilleur - le moins pire...), et les anthropologues étaient spécialisés dans ces sociétés très éloignées de la leur, justement du fait de cet éloignement, parce que celui-ci permettait parait-il une plus grande objectivité de la part du scientifique complètement coupé des ses habitudes.
Et maintement, voila que la tendance s'inverse, que de plus en plus d'anthropologues travaillent sur la ville occidentale, sur le politique, ... Ce que je trouve d'ailleurs tout à fait normal et indispensable pour cette discipline dont l'objectif final est (en simplifiant), de "prouver l'unité de l'Homme à travers sa diversité".

Et de toutes façons l'objectivité des anthropologues travaillant sur les sociétés racines est à mon avis toute relative. Le chercheur regarde un monde inconnu (ou uniquement connu à travers quelques livres), mais il y va quand même avec toutes ses idées et références occidentales. Donc malgré la volonté affichée d'objectivité, sa description de la société en question est forcément sélective. Il serait d'ailleurs intéressant de demander à un membre de ces sociétés de décrire son cadre de vie et de comparer cette description avec la monographie d'un anthropologue. On se rendrait surement compte que les valeurs qui se cachent derrière des objets ne sont pas forcément les mêmes que ce à quoi pensait le scientifique.

A ce propos, je me souviens d'un très bon livre d'Eric Julien, géographe, qui vit régulièrement avec une société amérindienne, les kogis. Ce livre s'appelle Kogis, le réveil d'une civilisation précolombienne.
Il raconte qu'il a réalisé un film sur les Kogis, mais que quand ceux-ci ont vu cette vidéo, ils se sont bien marrés, et ils ont demandé à Eric Julien de refaire un vrai film sur eux. Forcément le point de vue sera lui aussi subjectif, tout comme celui de l'anthropologue dans les monographies. Mais il pourrait nous permettre de mieux comprendre l'attachement qu'il peut y avoir aux objets, les sens cachés de ces objets, ce qu'un anthropologue n'est pas forcément capable de toujours faire.

Donc les sciences de la société (la notre) ont tout autant leur place que la science des sociétés lointaines.

Enfin, je m'éloigne, là!

Et je suis bien d'accord avec Miguel, ta citation sur la certitude en sciences est bien marrante et complètement vraie!
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MessageSujet: globalement d'accord   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyMar 13 Sep à 23:46

J'adhère. Mais je pense qu'il faut arrêter de penser à l'objectivité, et je ne dis pas surtout pour les anthropologues car c'est vrai pour tous les scientifiques. Pour moi la vraie posture n'est pas l'objectivité mais la conscience de sa subjectivité, donc le doute permanent et l'humilité par rapport au résultat. Un scientifique qui dit qu'il est objectif se trompe nécessairement (cf. ma signature et cette belle pensée de Deleuze) rien que du fait de cette croyance. Ne jamais oublier qu'un énoncé n'est scientifque que parce qu'il est réfutable.
On s'éloigne quelque peu du sujet initial mais finalement qu'importe.
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Miguel
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MessageSujet: Re: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyMer 14 Sep à 0:20

Afin de rendre les débats plus clairs, j'ai repris les deux dernières interventions pour les placer dans un nouveau sujet intitulé "De l'objectivité en géographie", que vous trouverez ici :

https://geographie.forumactif.com/viewtopic.forum?p=1272#1272

Vous pouvez donc continuer le débat objectivité/subjectivité sur le nouveau sujet, et poursuivre ici-même celui sur le lien entre histoire/géographie.

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MessageSujet: Re: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptySam 22 Oct à 10:48

Vous parlez du problème de l'enseignement de la géographie par un historien, mais que dire de l'enseignement de l'histoire par un géographe ainsi que de la formation historique qu'a recu un professeur d'histoire géographie ayant suivi un cursus de géographe?
Pour le premier cas, je pense qu'un enseignant géographe peut assurer son cours d'histoire en consultant des manuels scolaires. Il pourra même apprendre des choses. Mais que faire si un élève pose subitement une question, en classe, concernant la chronologie des rois de France? Cette question, pour un professeur géographe, risque de le mettre plutôt mal à l'aise (en tout cas, si j'avais à répondre à cette question, c'est ce qui se passerait).
Il me semble alors que le problème provienne du programme universitaire de l'enseignement de la géographie, ou même de l'histoire. Cette année (3e année de Licence), je suis frappé par un phénomène choquant. Alors que les concours de l'enseignement approchent, on nous dit qu'il faut suivre un enseignement obligatoire en histoire. j'ai eu le choix entre histoire classique, médiévale, moderne ou contemporaine. J'ai pris histoire classique ( monde grec de 490 à 332). Et je me pose une question: à quoi cela me sert-il pour mon futur métier???? Ne serait-ce pas mieux judicieux de nous faire suivre un enseignement global de l'histoire en étudiant toutes les péridoes? (en gros, faire une remise à niveau).
Et je pense qu'il en serait de même pour les historiens. Ils doivent eux, venir assister à un cours de géographie. Ce n'est pas un cours de géo physique, de géo urbaine ou rurale, de géopolitique... mais c'est un cours de géographie de la santé!! Bien que cette matière puisse être intéressante, elle ne leur apprend pas les fondamentaux de la géographie. Ainsi, trouvent-ils un intérêt à la géographie?
Pourrais-je avoir votre avis sur ce problème de contenu des programmmes universitaires que ce soit en géographie ou en histoire?
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MessageSujet: Les désunions du couple Histoire-Geo   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyJeu 24 Nov à 12:23

Dans ce sujet je voudrais peut être revoir ce que j'avais pu indiquer dans un précédent topic.

Anciennement couple parfait, l'Histoire et la Géographie ne cessent aujourd'hui de se quereller pour de piètres guerres de chapelles au sein de la Géographie. Histoire évènementielle ou histoire individuelle, la discipline a semble-t-il fait son choix. Le temps n'est plus la problématique en soit, il ne devient qu'un support anecdotique pour des relations sociales à une époque particulière tissée à partir d'un personnage spécifique connu ou inconnu. De ce point de vue, l'évènement ou la grande fresque ne transparait en filigramme qu'à travers un ou quelques individus. C'est généralement à partir de ces derniers que l'ensemble de la société est reconstruite par l'historien. Le subjectivisme est alors total car le monde historique n'est que la perception par une minorité à une époque donnée.
De son côté, la Géographie n'a quant à elle pas fait son choix et elle ne le fera sans doute jamais et elle ne le doit pas. Tantôt Lettres, tantôt Science, elle fait le pari de la vérité qu’elle a bien du mal à tenir. Quand la géographie théorique et quantitative nous propose la recherche par le général, la géographie subjective en tempère judicieusement les propos en analysant l’espace à des échelles fines. Cette variété des approches géographiques est une véritable richesse pour la discipline et elle est l’expression même de son dynamisme. Détruire une branche ou une autre serait sans doute une erreur à ne pas commettre car elle nous placerait alors dans la même situation immobiliste que l’Histoire.
Les réactions des historiens à l’égard de la Géographie proviennent bien souvent de la présence d’une variété progressiste dans notre discipline. S’ils sont en accord parfait avec la partie littéraire, ils se révoltent contre le quantitativisme géographique. Pourquoi une telle arrogance de nos amis historiens ? Si le principe est purement quantitatif, alors effectivement l’Histoire doit dominer la Géographie. Toutefois, il me parait à la fois idiot et injuste de raisonner sur un rapport dominant dominé. Sur quelle base se fonde l’Histoire pour imposer son hégémonie ? L’histoire de notre discipline ? Vidal de la Blache était historien mais la Géographie s’est émancipée et bien qu’elle entretienne des liens constants avec sa cousine, elle est autre chose que de l’Histoire, dispose de ses propres méthodes, de ses concepts, de ses outils et a pris conscience en 1967 de son caractère scientifique. A partir des années 80, la Géographie a adopté pour partie la démarche des sciences ce qui n’est pas le cas de sa cousine.
Dans ce nouveau rapport de force entre Histoire et Nouvelle Géographie issue des années 60, le couple H-NG a perdu de son éclat du fait de l’opposition croissante des démarches entre les deux disciplines. Il semble assez dommageable pour l’un et l’autre que des tentions surgissent car le couple disciplinaire est pleinement justifié du fait du lien fondamental Espace-Temps et de l’Homme. Pour comprendre le monde, il faut impérativement associer l’Histoire et la Géographie. Le désaccord croissant entre les deux disciplines issu de l’inertie historique entraîne le couple dans le gouffre. La conséquence directe est un étau croissant de la mise en équation du monde des hommes par le coût. La monétarisation croissante capitaliste avec son lot de pauvreté, de délocalisation (…) est logiquement liée à cette désunion de la « Science Monde ». La domination actuelle de l’histoire dans la cette dernière met en danger à la fois la Géographie mais également l’Histoire elle-même.
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MessageSujet: Re: l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes   l'histoire-géographie : 2 disciplines différentes EmptyJeu 24 Nov à 22:01

(petit message pour faire remonter ce fil où je viens d'incorporer la dernière intervention d'Homo Geographicus)

Smile J'aurais des tas de choses à dire, mais j'ai pas le temps Crying or Very sad
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