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Forum consacré à la géographie
 
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 La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...

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Sisyphe
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MessageSujet: La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...   La géo "à l'ancienne", témoignages et documents... EmptyMar 19 Juil à 13:41

Smile Mavie.com : je reviens d'un séjour chez ma grand-mère.

Pour y tromper l'ennui, j'ai farfouillé parmi l'immense bibliothèque héritée de mon arière grand-oncle grand-oncle, qui fut curé puis chanoine, et enseigna des années durant dans un séminaire l'histoire, la géographie, les sciences sacrée et l'histoire de l'art aux futurs prêtres de la région.

study Ce n'est pas la première fois que je farfouile ; d'ailleurs je suis pour ainsi dire le bibliothécaire attitré de la maison, et en bonne cigale, défenseur obstiné de son intégrité face aux trop nombreuses "fourmis", pour qui les livres sont des choses qui encombrent et qui n'ont pas de valeur (donc poubelle) et adeptes du nettoyage "typhon" Evil or Very Mad .

J'aurais aimé connaître cet arrière-grand-oncle, mort avant ma naissance, tant nous nous ressemblons. Certes il était curé et même franchement de tendance conservatrice comme on peut l'être dans le Haut-Doubs (terre "blanche", comme la Vendée), quand je tiens plutôt de l'anticlérical de gauche ; mais sa curiosité intellectuelle et ses trente-six-mille marottes (il a laissé de véritables monographies manuscrites, dont un répertoire d'arbres de toutes les familles régnantes passées et présentes du monde, plus complet que le Mourre) me le rendent sympathique..

BREF : j'ai déniché cette fois-ci deux ouvrages de géographie, qui me semblent témoigner de manière intéressante de la manière dont on pouvait envisager cette science autrefois. Je propose de consacrer ce fil à tous les témoignages de ce genre.

*

Le premier est un court fascicule, édité (en Français) dans le cadre de l'exposition de Paris de 1937 :

Francisco de Casanovas
Le peuple portugais et ses caractéristiques sociales

Malgré le titre pompeux, l'ouvrage tient plutôt des conférences "connaissance du monde" : peu de cartes, beaucoup d'illustrations naïves (dessins bicolores). Il répertorie et décrit en fait chacune des régions portugaise.

Wink En l'honneur de notre cher Miguel, qui en est issu, je ne résiste pas à la tentation de vous citer in extenso le chapitre sur la région du Trás-os-montes et de l'Alto Douro :

Citation :
Si nous suivons le cours du Douro vers l'Est, au bout de quelques kilomètres nous arrivons dans une région qui est l'un des deux grandes sources d'énergie de la race portugaise : la province du Trás-os-Montes.
Ici, c'est la montagne qui prédomine. Non pas celle de la Suisse, la montagne d'affiche, confortable, presque domestiquée, mais la montagne sauvage, dure, abrupte, la montagne où les gorges croisent les précipices et qui vous donne froid dans le dos, cette montagne enfin qui n'a comme compagnon que le ciel, les périls, les éléments déchaînés et d'où descendent en hiver les loups qui viennent hurler à nos portes.
Qui d'étonnant, alors, que la " trasmontano ", le montagnard surtout, isolé de tout le monde, ait la fierté de son indépendance, et l'habitude de ne compter que sur lui-même ? ... La nature l'a fait agile, robuste, et aventureux. Il aime regarder dans les yeux l'ami comme l'ennemi. S'il est parfois violent, s'il a la tête près du bonnet, en échange il est d'une hospitalité extrême envers les étrangers. " Si au Minho, rappelle Ramalho Ortigão, celui qui frappe à une porte est sûr d'entendre neuf fois sur dix les questions suivantes : Qui est là ? Qui est là ? Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?, celui qui frappe à une porte de Trás-os-Montes aura le même nombre de probabilité d'entendre cette brève réponse : Entre quem é (Entrez qui que vous soyez !) ".
La population de la vallée diffère, certes, un peu. Si la montagne indépendante est pastorale et prolétarienne, la plaine où vivent les propriétaires est bourgeoise. Cependant, en général, malgré cette légère différence de caractère, le trasmontano est franc et loyal, philanthropique et généreux. Les écoles, maternité [sic] et hôpitaux sont la plupart du temps soutenus par des dons. La solidarité est très grande. L'esprit de clan, qui paraît être né au Portugal, subsiste ici dans toute sa vigueur, et l'offense faite à l'un des membres est vengée par tous.
Les conditions de travail sont extrêmement curieuses. La plupart des travaux sont faits comme dans le Minho, sans autre rémunération qu'une nourriture abondante et choisie, mais ce qui étonnera encore plus, c'est que le trasmontano [,] ayant le sentiment de l'honneur très développé, presque tous les contrats sont faits sur parole !... Ici, même les plus pauvres [,] évitent d'être domestiques ou salariés, car personne ne tient à perdre son indépendance.
Nous constatons par ce bref exposé, et par quelques autres exemples que nous donnerons dans le cours de cet article, qu'en dehors des régions qui se trouvent près du littoral et des grandes villes, l'état social appelé communautaire persiste au Portugal, ce qui a comme conséquence directe et immédaite une grand développement de l'aide mutuelle. Dans le Trás-os-Montes on se rend réciproquement une foule de services absolument gratuits, qu'ils soient nature ou en travail, sans attendre aucune sorte de récompense. Les voisins s'entr'aident [sic] pour les travaux domestiques, les travaux des champs ; le prêt d'une robe le dimanche, les soins en cas de maladie, sont choses courantes.
La montagne est libre - elle appartient à tous et à personnes ! - Le pâturage et le bois s'exploitent en commun. En général les propriétaires rassemblent leur bétail pour aller au pâturage et fournissent, chacun à tour de rôle, le pâtre qui les surveille. En d'autres villages, on met en commun les produits de la récolte et on les vent au profit de tous. Très souvent, tout le monde se sert de la même écurie, du même grenier ou " lagar " [note de l'auteur : pressoir à huile]. Les syndicalistes, coopérativistes, technocrates et socialistes auraient ici quelque chose à apprendre...
Dans cette province aussi le travail des champs se fait en groupes, en chantant. On chante pendant les semailles, pendant la moisson, au pressage des raisins. Les chambres, les fenêtres, les rues sont fleuries. Aux " romarias " [n.d.a. Pèlerinage à Rome. Signif. Actuelle : un pèlerinage qui se termine généralement par des divertissements et un banquet au lieu du pèlerinage] on joue de la " chula ", le fiancé et la fiancée font des défis poétiques.
A Tras-os-Montes [sic], l'éducation est basée sur l'autorité paternelle, l'amour de la famille, le respect des traditions. La tradition... Dans certains villages, il n'y a pas longtemps, on plaçait encore 10 ou 20 centimes dans la bourse du défunt pour qu'il paie son passage dans l'autre ponde. On établira de suite l'analogie entre cette croyance populaire et la légende de Charon, le nocher infernal des traditions égyptiennes [sic !], qui exigeait une obole de chaque mort, avant de l'admettre dans sa barque et que seules pouvaient satisfaire les âmes des défunts qu'un entourage prévoyant munissait du viatique nécessaire.
La femme y est plus casanière que dans le Minho. L'observation des usages traditionnels l'oblige à être généralement habillé de noir. Les jeunes filles se chargent de l'ornement des autels.

Rolling Eyes Citation authentique, je n'ai corrigé que les coquilles de ponctuation.

Je suppose que notre Trasmontano a nous, qui n'a certes pas la tête près du bonnet, aura quelques remarques à faire.

Neutral Evidemment, le passage sur les "syndicalistes, coopérativistes, technocrates et socialistes" nous rappelle que cet ouvrage a été édité par le "ministère de la propagande nationale" (sic !), quelques années après l'établissement de la dictature de Salazar, et qui plus est au moment où la France est gouvernée par le Front Populaire. Il serait intéressant d'étudier en quoi ce texte appartient à l'idéologie salazariste, fascistoïde, certes, mais avec des caractéristiques propres (qui la rapproche du pétainisme). Et en quoi il comporte, quand même, des remarques géographiquemet valables.

*

Tout différent est le second ouvrage :

Tah-Kin-Huon
Géographie du Cambodge, et de l'Asie des moussons.
Imprimerie Henry, Phnom-Penh, 1957

Le propos de l'ouvrage est compris dans le titre : c'est une véritable monographie, destiné en même temps à servir de manuel scolaire, ou du moins de "livre du maître". Disons-le tout de suite : c'est un travail imposant, érudit, complet, rempli de chiffres, de cartes et de graphiques précis (ces deux derniers d'autant plus remarquables qu'ils sont réalisés à la main ; combien de géographes le peuvent encore ?).

La page de couverture est déjà intéressante :

L'auteur. Il représente à lui seul tout un aspect de la douleure histoire coloniale indochinoise : c'est un aytochtone, il est "ingénieur agronome et ingénieur des eaux et forêt". Or sa compétence dépasse largement ces deux titres, honorables certes, mais de niveau intermédiaire, surtout dans le système universitaire d'alors. Il écrit par ailleurs dans un français châtié, presque précieux. Bref, il appartient à cette élite intellectuelle moderniste que la France a réellement su dégager en Indochine, mais à qui elle n'a donné aucun poste ou presque, accentuant les ressentiments (d'ailleurs, ce personnage précise qu'il a enseigné la géographie durant la période transitoire (1945-1946) au lycée Sisowath, lycée colonial qui a précisément produit ces élites).

La date. A cette époque, le Cambodge est indépendant. Mais le nom de l'éditeur montre que la présence française est restée forte, et il écrit en français. Paradoxe. Il précise d'ailleurs dans l'introduction que cet ouvrage à pour but de donner un véritable manuel au nouveau système scolaire. Une phrase retient mon intention :

Citation :
les livres scolaires imprimés à l'étranger et conçus pour les étrangers ne sont pas adaptés à notre enseignement national

Qui vise-t-il ? Les manuels français ? Ou peut-être les manuels édités en exil en Chine par des communistes, et introduits clandestinement dans les pays d'Asie.

En tout cas, pour sérieux que soit cet ouvrage-là, on voit que la donnée patriotique est importante. La géo serait-elle une manière de s'approprier le territoire, alors qu'on ne s'est pas encore approprier la langue !

Le livre, je l'ai dit, est très sérieux et très complet. Je suppose qu'il existe un Que-Sais-Je sur le Cambodge, mais je doute qu'il existe aujourd'hui un ouvrage aussi complet sur le sujet en français.

Certes, c'est de la géo à l'ancienne : dans la troisième partie, consacrée aux autres Etats d'Asie, le plan est imperturbablement I. Géographie physique II. Géographie politique III. Géographie économique. Et la partie centrale, sur le Cambodge, suit la même logique : 1. Relief, 2. Climat, 3. Hydrographie, 4. peuplement 5. Agriculture 6. Industrie etc.

Pourtant, malgré ce sérieux, on retrouve un peu du premier livre lorsqu'il aborde le peuplement. Je cite :

Citation :
Les khmers

Au physique, le Khmer est de taille assez élevée (1m 62 en moyenne pour les hommes, et 1 m 50 pour les femmes), supérieure à celle des Vietnamiens. Il a le crâne brachycéphale, le teint foncé, le nez épaté, les lèvres grosses. Les cheveux noirs et durs. Il est musclé, cuisses et jambes rondes, avec une certaine lourdeur chez la femme. Celle-ci est toutefois bien faite. La famille est nombreuse, et la mère bonne nourrice. En résumé, race saine, d'une taille moyenne, légèrement massive et solidement charpenté, proportions harmonieuses sans élégance et formes rondes sans mollesse.

Au moral, le Cambodgien a été façonné d'une part par le bouddhisme auquel il est profondément attaché, d'autre part par la facilité de la vie. Il est généralement calme, paisible, superstitieux et sans ambition. Pour les Occidentaux, le Cambodgien est un être apathique, imprévoyant, qui ne se met au travail que quand la faom le commande. Ce type de jugement forme en général la base des préjugés. En réalité, si le Cambodgien est imprévoyant, ce n'est pas parce qu'il est apathique ou qu'il n'obéit qu'à son instinct de conservation animale, mais c'est parce que, par sa formation religieuse, il ne considère pas que son corps mérite plus d'attentions, ni plus de soins.

Le cambodgien n'est en général ni artisan, ni commerçant. Sans doute, il sait fabriquer sa charrette, sa barque, ses outils, construire sa maison, mais il a oublié les arts industriels autrefois si florissants, dont la tradition n'est entretenue que par quelques artisans isolés. Bouddhiste, il ne pratique pas beaucoup la pêche et n'est pas un grand éleveur. C'est uniquement dans le domaine de l'agriculture qu'il exerce une activité productrice de ce dont il a besoin.

Rolling Eyes Savoir qu'un mètre soixante-deux est une taille élevée me console... On appréciera également le passage sur la femme qui est "toutefois bien faite" . Le plus étonnant, au-delà même du racialisme, c'est de sentir combien les clichés coloniaux sont intégrés par un autochtone, qui plutôt que les nier cherche à les rationaliser : oui le khmer est un mauvais travailleur, mais c'est parce qu'il est bouddhiste. On passe du "racialisme" à "l'ethnicisme". Est-ce vraiment un progrès ? Crying or Very sad

Je vous laisse réagir sur ces deux témoignages. Si vous en avez d'autres à proposer, n'hésitez pas.


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Miguel
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MessageSujet: Re: La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...   La géo "à l'ancienne", témoignages et documents... EmptyMar 19 Juil à 14:30

Voilà un sujet hautement intéressant, je te remercie Sisyphe pour ce don que tu nous fais. La géographie "patriotique" est un fait, surtout au tournant XIX-XXème siècle : rappelons "Le Tour de France par deux enfants", qui constitua le manuel de géographie majeur pour les écoliers et façonna des générations de Français amoureux de cette Alsace-Lorraine perdue en 1871. Les dates des deux ouvrages que tu cites sont certes plus tardives. Dans le cas portugais, en 1937, on est encore sous le règne de la géographie vidalienne.

Il me faudrait plus de temps pour analyser de manière plus approfondie la présence d'éléments salazaristes dans le discours. A première vue, le salazarisme semble intervenir plus dans la possibilité donnée à l'auteur "d'exporter" l'ouvrage en France que dans le texte lui-même. Un texte qui contient beaucoup de "vérités populaires" : la région de Trás-os-Montes est réputée au Portugal pour être la région de l'hospitalité par excellence (la phrase "Entre quém é" est très connue encore de nos jours, et se vérifie facilement sur le terrain), et pour être la région de la loyauté et de l'esprit de clan.

L'ouvrage sur le Cambodge est intéressant à plus d'un titre également. En 1957, la géographie vidalienne tend déjà à céder du terrain, sous l'influence, entre autres, de Chabot. Mais tout un pan de la géographie reste en suspens : la géo urbaine. Les peuplements sont encore analysés de manière typologique (tu me le confirmeras, Sisyphe ?), avec de simples objectifs de classification.

Il faudrait que je retrouve quelques notes intéressantes sur le même thème. J'ai chez moi deux tomes (il me manque les deux derniers, que je compte acheter en août) de la Géographie du Portugal, par Orlando Ribeiro, le grand géographe portugais, notre équivalent, en termes de célébrité, de Vidal de la Blache. J'essaierai, plus tard, d'en copier quelques extraits. Orlando Ribeiro avait défini la géographie d'une manière que j'ai beaucoup aimée : "la géographie ? je ne sais pas ce que c'est, mais c'est rudement intéressant". Smile

Juste une petite remarque, cher Sisyphe : je ne suis pas trasmontano (ou transmontano : les deux orthographes sont valables en portugais, et je dirai même qu'on tiquera beaucoup moins souvent si on intercale le "n"). Je suis de la Beira Litoral, près d'Aveiro, entre Porto et Coimbra. Smile
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Sonka

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MessageSujet: Re: La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...   La géo "à l'ancienne", témoignages et documents... EmptyMar 19 Juil à 15:46

Mais c'est de la géo, ça ? Ou de la socio bidon ? Ou du récit de voyage ?
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Miguel
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MessageSujet: Re: La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...   La géo "à l'ancienne", témoignages et documents... EmptyMar 19 Juil à 17:01

Sonka a écrit:
Mais c'est de la géo, ça ? Ou de la socio bidon ? Ou du récit de voyage ?
C'est la géographie à un moment de son évolution vers ce qu'elle est aujourd'hui. Il faut savoir que la géographie, telle qu'on la connaît aujourd'hui, est une discipline très jeune, qui est à peu près née au début du XXème siècle, et qui a pris son envol à partir des années 1960 (mai 1968 constitue un tournant majeur de son évolution).
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MessageSujet: Re: La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...   La géo "à l'ancienne", témoignages et documents... EmptyMar 19 Juil à 20:39

Le passage sur les Khmers cité par Sisyphe me rappelle l'atlas encyclopédique des peuples de Russie que j'ai acheté à Saint-Pétersbourg l'année dernière. Il date de 1994, mais le texte est extrêmement paternaliste voire même colonialiste. Les petits croquis qui montrent à quoi ressemblent les représentants de ces peuples font très livre d'ethnologue explorateur du début du XXe siècle. Le plus incroyable, c'est que c'est le meilleur atlas de ce type que j'aie trouvé! Je ne l'ai pas sous la main car il est chez mes parents dans le Nord, mais j'y reviendrai quand je serai de retour en France.
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Sisyphe
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MessageSujet: Re: La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...   La géo "à l'ancienne", témoignages et documents... EmptyMar 19 Juil à 23:40

Citation :
Il me faudrait plus de temps pour analyser de manière plus approfondie la présence d'éléments salazaristes dans le discours. A première vue, le salazarisme semble intervenir plus dans la possibilité donnée à l'auteur "d'exporter" l'ouvrage en France que dans le texte lui-même. Un texte qui contient beaucoup de "vérités populaires" : la région de Trás-os-Montes est réputée au Portugal pour être la région de l'hospitalité par excellence (la phrase "Entre quém é" est très connue encore de nos jours, et se vérifie facilement sur le terrain), et pour être la région de la loyauté et de l'esprit de clan.

Effectivement, le texte n'a en lui-même pas de grande originalité : il aligne les lieux communs que l'on pourrait débiter sur toute campagne isolée et un peu rude : le caractère bourru qui cache un grand coeur, l'esprit de clan, la conservation des traditions, l'hospitalité...

Wink On pourrait d'ailleurs très bien remplacer "trasmontano" par "corse" ou "habitant du Haut-Doubs" - sauf que dans le second cas ce commentaire serait perçu comme méchant et extérieur (il m'arrive de dire de semblables choses, quand je suis fatigué ! Embarassed ), alors que dans le premier cas c'est pratiquement le discours célébrateur des nationalistes eux-mêmes...

...En fait ce texte me fait penser a début des Travaux et les jours d'Hésiode (VII siècle av. JC) !

Il y a quand même quelques éléments un peu plus originaux, et qui tiennent quand même au contexte politique : outre la citation méprisante sur les socialistes (avec l'idée de fond que "le vrai socialisme, c'est nous"), il y a quand même (dans ce texte et dans le reste du livre) une véritable célébration des campagnes surtout les plus laborieuses ("l'une des deux grandes sources d'énergie de la race portugaise"), et à l'opposé le léger doute quand on parle de la plaine et de ma ville : "Si la montagne indépendante est pastorale et prolétarienne, la plaine où vivent les propriétaires est bourgeoise. Cependant, en général, malgré cette légère différence de caractère, le trasmontano est franc et loyal etc." ; bref, comme disait Pétain "la terre, elle, ne ment pas", alors que la ville est le lieu de la dégénérescence.
Sans parler du fait qu'il termine abruptement son texte sur les jeunes filles ornant l'autel, et la vigueur du catholicisme (c'est encore plus net dans certaines autres parties du livre).


Citation :
L'ouvrage sur le Cambodge est intéressant à plus d'un titre également. En 1957, la géographie vidalienne tend déjà à céder du terrain, sous l'influence, entre autres, de Chabot. Mais tout un pan de la géographie reste en suspens : la géo urbaine. Les peuplements sont encore analysés de manière typologique (tu me le confirmeras, Sisyphe ?), avec de simples objectifs de classification.

Je confirme l'obsession de la typologie s'agissant des "races". Il s'évertue à classer les khmers simples, les Khmers-leu, les Vietnamiens, et se retrouve contraint d'inventer une curieuse classe de "khmers assimilés", qui seraient formés de quatre ensembles très variés (Malais, Chams, Lao, Birmans) qu'il reconnaît lui-même ne pas pouvoir distinguer.

En fait, il est remarquable qu'il sépare nettement les chapitres "peuplement" et "population". Dans le premier, géo "à l'ancienne", il sous-distingue même
- L'histoire du peuplement d'une part ; selon une perspective qui serait tout à fait recevable de nos jours, mais en histoire : pas de race élue ou supérieure ; et il analyse non seulement les hasards de l'histoire (tel évènement, telle migration), mais aussi la manière dont la situation politico-sociale (ex. le féodalisme) a maintenu les différences de population, ou au contraire provoqué des mélange, ce qui tient presque de la nouvelle histoire.
- La typologie du peuplement, selon des critères "ethnicisants" dont j'ai parlé, un peu absurdes, et presque en contradiction avec ce qui précède : paradoxe du géographe asiatique coincé entre ses concepts "coloniaux" et son savoir !

Surprised Mais puisque tu parles de la géo urbaine, j'avais justement été frappé de ce qu'il consacre un chapitre aux villes, qui n'est pas seulement une liste des villes et de leurs productions industrielles (type géo Troisième République, bien visible dans Le tour de France de deux enfants), mais aussi une étude de ses villes ; il y a notamment un schéma et non pas seulement un plan, de Phnom Penh !

Cool On sent quelque chose qui point !

Citation :
Juste une petite remarque, cher Sisyphe : je ne suis pas trasmontano (ou transmontano : les deux orthographes sont valables en portugais, et je dirai même qu'on tiquera beaucoup moins souvent si on intercale le "n"). Je suis de la Beira Litoral, près d'Aveiro, entre Porto et Coimbra.

Rolling Eyes Ah, tiens, j'avais cru... Mais maintenant que tu me le dis, je me souviens effectivement que tu avais parlé de la mer quand nous avions parlé du Portugal et de ton village...

Ma faute doit venir justement d'une question que tu avais posée sur Freelang à propos de "trasmontano / transmontano" (où je t'avais expliqué que "tras-" est l'évolution phonétique normale dès le latin, et "trans" une relatinisation ; j'ai adopté ici l'orthographe du livre lui-même). J'ai dû faire le lien abusivement...

Dommage, je n'ai plus cet ouvrage sur les yeux. La prochaine fois que j'y vais, je te recopierai ce qu'il dit de la Beira Litoral Avec un seul t en portugais comme en latin, je prends note

Miguel a écrit:
Sonka a écrit:
Mais c'est de la géo, ça ? Ou de la socio bidon ? Ou du récit de voyage ?
C'est la géographie à un moment de son évolution vers ce qu'elle est aujourd'hui. Il faut savoir que la géographie, telle qu'on la connaît aujourd'hui, est une discipline très jeune, qui est à peu près née au début du XXème siècle, et qui a pris son envol à partir des années 1960 (mai 1968 constitue un tournant majeur de son évolution).

C'est toute la question : à partir de quand la géo réussit-elle à s'extraire de la simple description, et même naïve, sociologico-paysagiste, pour devenir une vraie réflexion, une science.

A titre indicatif : Miguel parle de mai 68, comme date on peut également (et "à l'inverse" : du côté institutionnel) citer la création de l'agrégation de géo en 1942/1943. Mais j'aurai l'occasion de revenir sur cette question.

Ce qui est intéressant, je trouve, c'est que ces deux livres sont justement totalement différents : le premier est totalement comme tu dis "de la socio bidon", et du "récit de voyage" ; alors que le second est on ne peut plus scientifique ! Pourtant, les deux textes se ressemblent beaucoup ; mais le second n'est plus qu'une scorie, un reste de vieux concepts dans un ouvrage qui lui "sent" la modernité. Et les deux montrent combien la question "identitaire" est fondamentale en géo.

Je ne pousserai pas trop loin le bouchon en disant qu'il y a eu une "évolution" de 1937 à 1957 : les deux textes n'ont ni le même public ni le même but. Mais quand même...


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Sonka

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MessageSujet: Re: La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...   La géo "à l'ancienne", témoignages et documents... EmptyMer 20 Juil à 11:04

didine a écrit:
Le passage sur les Khmers cité par Sisyphe me rappelle l'atlas encyclopédique des peuples de Russie que j'ai acheté à Saint-Pétersbourg l'année dernière. Il date de 1994, mais le texte est extrêmement paternaliste voire même colonialiste. Les petits croquis qui montrent à quoi ressemblent les représentants de ces peuples font très livre d'ethnologue explorateur du début du XXe siècle. Le plus incroyable, c'est que c'est le meilleur atlas de ce type que j'aie trouvé!
Ce ne m'étonne pas du tout. L'évolution de ce genre d'ouvrage ne peut aller de pair qu'avec l'évolution des mentalités des gens du pays (et donc, des auteurs). Les Russes faisant encore majoritairement preuve du même racisme que les Français à l'époque du bouquin sur le Portugal mentionné par Sisyphe, il n'est pas étonnant d'y retrouver le même genre de contenus.
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MessageSujet: Re: La géo "à l'ancienne", témoignages et documents...   La géo "à l'ancienne", témoignages et documents... EmptyMer 20 Juil à 19:01

Effectivement, ma deuxième lecture du texte pointe un certain nombre d'éléments pétainisants.

Quant à la question que tu poses, Sisyphe : à partir de quand la géo réussit-elle à s'extraire de la simple description, et même naïve, sociologico-paysagiste, pour devenir une vraie réflexion, une science ?

Les choses ne sont pas si simples, et la géographie a connu une évolution plurielle selon que l'on parle de géomorphologie, de géo urbaine, de géo rurale ou d'autres champs de recherche. Par exemple, alors que la géo urbaine en est encore à ses balbutiements dans les années 1950 (elle se développe dans les années 1960-1970), la géomorphologie domine la géographie dans la même décennie et y acquiert son lettres de noblesse : être géographe physicien, en 1955, est beaucoup plus gratifiant qu'étudier l'évolution de la banlieue parisienne. Les problèmes liés à la reconstruction d'après-guerre sont surtout laissés aux sociologues, économistes et planificateurs. La géographie rurale, quant à elle, connaît des développements intéressants dès l'entre-deux-guerres (études précises des structures agraires, beaucoup de recherches sur le bocage par exemple).

Plutôt que de me demander quand la géographie devient vraie réflexion, je préfère me demander comment la géographie évolue depuis la fin du XIXème siècle et quels champs de recherche sont privilégiés selon quelles périodes, et surtout quand est-ce qu'ils deviennent, eux-champs et non elle-géographie, une vraie réflexion et une science.

Cela étant, il est vrai que l'entre-2-guerres est marqué par une géographie assez pauvre, malgré quelques belles tentatives (c'est Vallaux, me semble-t-il, qui substitue pour la première fois la notion d'espace à celle de milieu, dans les années 1920). La géographie est surtout régionale (nombreuses thèses de géo régionale, je n'ai plus les noms des auteurs en tête).

D'un point de vue institutionnel, puisque tu en parles : en reprenant d'anciennes notes, je constate que l'Institut de Géographie fonctionnait alors avec 3 chaires seulement (physique, humaine, chaire de géo régionale et Afrique Blanche). C'est Emmanuel de Martonne (fondateur de l'Association des Géographes de France) qui obtient la séparation de l'histoire et de la géo à l'agrégation pendant la guerre.
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