Bonjour Héloïse,
Voilà un petit raccourci de l'épistémologie et des courants au sein de la géographie fait par la grande prêtresse de cette question en France : M-C Robic. Je pense que tu y trouveras les réponses à la plupart de tes interrogations.
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ÉPISTÉMOLOGIE DE LA GÉOGRAPHIE
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1/ La tension entre localité et universalité
a/ Une épistémologie du mixte ?
b/ La polémique positiviste des 1950’
c/ Critiques « humanistes » et « radicales »
2/ La géographie ds son mouvement
a/ La géographie moderne et la relation nature/culture
b/ La recherche de la géographie face à l’historicité de son objet.
- Une double relativité
- Un monde fini mais différencié : la fin du XIX°
- De l’espace solidarisé au système monde
- Ecosystème sensible et espace critique
3/ Des lieux, des aires, des mots : représentations de l’espace géographique
a/ Repenser l’espace : structures et systèmes
b/ Axiomatisations et théories de la géographie
c/ Réactualiser nature/culture
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- Épistémologie (étym. : étude ou théorie de la science) = 2 styles de la théorie de la science :
→ accent sur les processus les + généraux de la connaissance, leur logique, leur fondement
→ étude spécifique des sciences, voire du développement historiques concret de leurs pbs
La tension entre localité et universalité
Une des tensions de la géographie = celle qui oppose une méthodologie singularisante + une méthodologie universalisante. Elle commence avec la distinction grecque entre chorographie (= représentation sélective d’un ordre formel de la Terre) et géographie (= description à visée exhaustive des lieux et régions).
Une épistémologie du mixte ?
- Fin XIX°, l’approche des localités a prévalu + s’est traduite par la monographie synthétique. => Les géographes ont pris parti pour la « compréhension » plutôt que « l’explication ». Or, l’un des nœuds des conflits contemporains de l’institutionnalisation de la géographie universitaire = affrontement entre 2 régimes de rationalité :
→ la rationalité « standard » de la science, sur le modèle de la physique newtonienne, avec pour normes l’explication par la loi, l’indépendance à l’égard des conditions de lieu et de tps.
→ le modèle de la compréhension, de la recherche des individualités ou des formes. = Une des dimensions de la controverse entre géographes vidaliens + sociologues durkheimiens.
- Conception de l’école française ambiguë. = Une épistémologie mixte qui concilie approches explicatives + compréhensives. L’expression de Vidal, la « vue raisonnée », la condense avec la conception d’une liaison entre géographie générale + géographie régionale.
- Aux Etats-Unis, fin des 30’, Hartshorne (The Nature of Geography) valorise une conception idiographique de la géographie. Il renoue avec une tradition régionale ou de « science chorographique » (Kant, de Humboldt, Ritter, Hettner).
- Deb XX°, les géographies privilégient l’étude des « milieux » (les géographes au tournant XIX°-XX° fondent l’unité terrestre sur un principe biologique). En France, « l’oecologie » (travaux des botanistes Warming et Schimper) valorise une vision biologique du « tout » terrestre + justifie une conception naturaliste de la « géographie humaine » naissante.
=> Selon le poids accordé à la perception ou fonctionnalité, à la nature ou culture, ces individualités = des « paysages » (Allemagne + géographe californien Sauer) ou des « régions » (France).
La polémique positiviste des 1950’
- Aux Etats-Unis, Schaefer (1953) dénonce ss le terme d’ « exceptionnalisme » l’idée selon laquelle la géographie a une méthodologie particulière (intégrative ou science de synthèse) + que ses objets relèvent de l’unicité. Bunge (1962) et Harvey (1969) ont approfondi la critique de la conception idiographique et lui oppose la méthodologie scientifique + la norme de l’explication. = Point de vue positiviste.
Cet alignement de la « new geography » sur l’orthodoxie scientifique => accent sur le rôle du langage, de la mathématique (analyse statistique, géométrie, topologie) + la recherche théorique.
→ Les méthodologies = démarche hypothético-déductive ou modélisation (Haggett, 1965 ; Chorley et Haggett, 1967).
→ L’objet de la géographie = recherche de lois spatiales. => Déplacement du lieu à l’espace.
→ Les modèles = la locational analysis (analyse spatiale) ou les location theories (théories de la localisation) qui se référent aux travaux de l’économiste Lösch et du géographe Christaller (sa théorie de lieux centraux devient le modèle de cette nouvelle géographie).
Critiques « humanistes » et « radicales »
- Réaction à ce paradigme :
→ un courant « humaniste » oppose le lieu et le sens des lieux à l’espace + aux prétentions de son étude objective et prédictive
→ un courant conteste la science positiviste, en critiquant son objet normatif et/ou en lui opposant des théories sociales.
- Johnston (1991), ds sa classification de la géographie humaine anglo-saxonne, estime que 3 groupes concourent au pluralisme de la géographie humaine : « positivistes », « humanistes », « structuralistes » (ou « radicaux »).
- En France. Consensus + fort en raison d’habitudes dialogiques + d’une prégnance de la pensée marxiste. Deux décennies de discussions conduisent à un relatif consensus sur la scientificité de la géographie, l’appartenance de la géographie aux sciences sociales, sa spécificité (= analyse de l’organisation spatiale de la terre).
- La contestation d’un savoir positiviste =
→ critiques sur le scientisme, la prétention à l’objectivité scientifique (cf. géographies « sociale » + « politique »)
→ critiques du projet scientifique ds sa prétention à séparer les faits des valeurs (cf. géographie « humaniste », « culturelle », « des représentations », « phénoménologique »…)
- Ds cette dernière perspective, la géographie doit restituer le sens de « mondes » par définitions vécus. Une référence exemplaire = Dardel (L’Homme et la Terre, 1952). Ds une perspective existentialiste, Dardel pense la géographicité de l’homme comme Heidegger en a pensé l’historicité : appréhension philosophique de la signification de la géographie par rapport au destin de l’homme + signification de la Terre comme base de l’existence humaine. => Dardel oriente le savoir géographique vers les disciplines herméneutiques + devient l’un des emblèmes pour une réévaluation de la géographie (pour une géographie post-moderne). Ce courant = géographie comme « science de l’homme » + privilège accordé au « référentiel-habitant » et au concept de territorialité (Ferrier, 1984).
La géographie dans son mouvement
La géographie moderne et la relation nature/culture.
- La géographie participe à la modernité qui a fondé, depuis la Renaissance, la dualité homme-nature + qui a fait de la nature le cadre ds lequel se déploie l’histoire humaine.
La tradition « environnementaliste » ou « écologique » traite de la détermination des activités humaines par son habitat (= « théorie climatique » ds la géographie de Montesquieu). Tradition du « déterminisme géographique » = persiste au XIX° + convertie en déterminisme géologique ou de l’étendue (Raum) (ex. chez Ratzel).
- Fin XVIII°, la géographie se renouvelle à la faveur de la déchéance de la tradition finaliste (la Terre = demeure providentielle de l’homme). => La portée transformatrice de l’homme est mise au centre de la réflexion sur la relation homme-terre.
La géographie s’oriente alors vers l’étude de la Terre comme T des hommes, lieu concret de l’application de la modernité. Cpt, l’ampleur de la réaction romantique, en géographie, tempère la dissociation nature/culture introduite par la modernité (Humboldt, Reclus).
La recherche géographique face à l’historicité de son objet.
• Une double relativité.
- Avec la révolution technico-scientifique (deb XIX°) : réduction de la terre comme étendue, mvt de rétraction de l’espace-temps. A partir 1830’-40’, Ritter du côté des géographes allemands, les saint-simoniens du côté des penseurs français, envisagent la révolution spatiale suscitée par la substitution de forces mécaniques à la traction organique (la thermodynamique est née). M. Chevalier conçoit la rétraction + l’homogénéisation de l’espace-temps terrestre induites par les techniques de circulation (idée reprise par Reclus).
- La relativité des propriétés de la Terre =
→ un potentiel, une réserve diversement exploitée par les sociétés selon leur capacité technique, leur représentation de la nature ( traiter de la relation hommes-terre en terme de « possibilisme »)
→ le géographe américain Marsh (Man and nature or physical geography as modified by human action, 1864) dresse le tableau des types de dégradations effectuées par l’homme à la surface de la Terre. Reclus s’en inspire ds sa recherche d’harmonie entre la Terre et l’Humanité. = Thème de la Raubwirtschaft (ou « économie destructrice ») qui se retrouvera ds la littérature géographique du deb XX° (ex. la géographie humaine de Brunhes).
=> La gde transformation des XIX°-XX° = passage de la représentation d’une Terre illimitée à celle d’une Terre « finie », puis à une Terre « solidarisée » (ts les lieux sont en interaction spatiale) + enfin à une Terre irréversiblement « dégradable ».
• Un monde fini mais différencié : la fin du XIX°.
- La reconnaissance de la Terre entière (espace-temps en rétraction) s’exprime par la confection des 1ères cartes isochrones globales (1880’-1900’). L’image en est bâtie sur un modèle centre-périphérie : les repères restent les capitales (Londres, Paris, à l’échelle globale), Paris (échelle de la France)…
- La maîtrise des contraintes physiques se traduit par l’ubiquité de l’homme, ss les traits de l’Occidental omniprésent : il a atteint ses limites en profondeur, en altitude, latitude (pénétré les continents, le pôle nord est rallié en 1909…). => L’écoumène s’est étendu aux bornes de la planète + la carte politique la recouvrent totalement (les bilans de Brunhes en France, de Mackinder en Grande-Bretagne).
• De l’espace solidarisé au système monde.
- 1ère mi XX°, prise de conscience de la mondialisation (de la Gde guerre à la crise économique des 30’ et à la 2de Guerre). = Interdépendance générale à la surface de la Terre (la distance n’est + un frein aux relations, les milieux ne constituent + des discontinuités majeures). La projection polaire s’avère la plus pertinente, spécialement en géopolitique.
- La nature paraît homogénéisée par la technique. Les discontinuités géographiques relèvent seulement de l’action, politique notamment. L’expression de « délocalisation » est utilisée en France ds les 50’ pour dénoncer (ex. l’économiste Perroux), l’illusion d’un attachement des choses à un site concret. Un Ullman pense la géographie comme une science de l’interaction spatiale, tandis que la notion de réseau se structure.
- La terre devient pour les géographes le lieu d’une pratique d’aménagement de l’espace. Durant les 60’, le Conseil géographique américain prône une finalité gestionnaire engageant la discipline ds le space managemnt, les géographes français assument une problématique « d’organisation de l’espace », les Allemands une pratique de Raumordnung.
- Ds les 40-60’, les symptômes d’une crise épistémologique en géographie s’ancrent ds la tentation de l’aménagement régional + la représentation de l’humanité en interaction. La conception d’un « système Monde » (fin 80’) repose sur : l’extraordinaire complexification de ce monde solidarisé + sur l’adoption du systémisme en géographie.
• Ecosystème sensible et espace critique.
- 70’, la temporalité de la Terre = bouleversée par la conscience de l’irréversibilité des atteintes produites par l’homme. 2 nouveautés par rapport aux alertes de Marsh : l’échelle s’est agrandie à la totalité terrestre + la notion d’irréversibilité s’est imposée.
=> Incorporation de notions anciennes refoulées (dégradation de l’énergie) + usage de schèmes intellectuels nouveaux liés à l’analyse systémique.
- Le globe humanisé est envisagé comme un écosystème. = Une totalité qui, par l’action humaine, est soumise à des transformations irréversibles. Ce rapport hommes-terre revitalise la veine « environnementaliste ».
- Parallèlement, un autre enjeu surgit des techniques capables de garantir la présence à distance + la communication instantanée. = Elles semblent nier l’espace, promettant l’ubiquité humaine ds l’inertie, par la médiation de l’écran porteur d’images virtuelles.
Des lieux, des aires, des mots : représentations de l’espace géographique
Repenser l’espace : structures et systèmes
- Le paradigme de l’analyse spatiale = ss-tendu par une représentation de l’espace géographique qui l’inclut ds la catégorie de l’espace relatif. Lequel, depuis la Renaissance, a fait se substituer la conception aristotélicienne des lieux (agrégat de points), à celle d’un syst de positions relatives.
La critique de Harvey (1969) a contribué à instituer une conception de l’espace géographique leibnizienne (= structure créée par des activités en relation).
- Pbs méthodologiques :
→ la formalisation de cette conception soulève la question de la légitimité des transferts de modèles issus des sciences humaines, math…
→ la question des échelles et de l’articulation des échelles, l’introduction de concept spatiaux ds les systèmes.
Axiomatisations et théories de la géographie
- S’inspirant de l’épistémologie piagétienne, Nicolas établit la « logique de l’espace géographique » en dégageant les règles implicitement utilisées par les géographes. 3 axiomes définissent la spécificité de cette procédure :
→ l’axiome « chorologique » (= « peut être géographique tout objet au sens statistique du terme qui différencie l’espace terrestre »)
→ l’axiome « de situation » (= « peut être géographique tout objet en rapport spatial avec un objet situé en un autre endroit de la terre »)
→ l’axiome « chronologique » ou « de succession » (= « peut être géographique tout objet dont les rapports non exclusivement spatiaux s’accordent avec des successions observées »).
- Reymond la considère comme une « géochorotaxie » : 2 constructions ne peuvent occuper en même tps le même lieu.
=> La géographie a une problématique propre. Elle analyse la « spatialisation de l’étendue » ou la production de caractères idéaux de l’espace (continuité, isotropie, homogénéité) ds l’espace géographique occupé par les sociétés humaines.
Les théories de la géographie reposent sur l’existence de lois spatiales en nombre limité. Les lois spatiales relèvent du pavage, de l’espacement, de la polarisation.
Réactualiser nature/culture
- A la rencontre d’une comparaison interculturelle + d’une critique de la modernité, Berque se propose de repenser les concepts fondamentaux de la géographie, au prix d’un rejet d’une coupure nature/culture + d’une invention lexicale qui en souligne la portée (= concepts de « médiance » et « trajection »).
- Révision de la place de la géographie physique ds une démarche systémique. = Considérer les « facteurs naturels » comme des « contraintes » parmi d’autres, en interaction avec les éléments d’un système socio-spatial (Marchand, 1980).
- Bertrand G. (1991) argumente pour la substitution de la géographie physique classique (une science naturaliste, objectiviste) par une « interface épistémologique et méthodologique » qui pose la question de la nature ds une problématique sociale. Il envisage un triplet conceptuel constitué du « géosystème », du « territoire » et du « paysage », traités respectivement sur les modes naturaliste, politique et esthétique.
Bon courage pour la suite